Études classiques | Yishan bei 嶧山碑 traduit et annoté - Feibai Institute
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Études classiques | Yishan bei 嶧山碑 traduit et annoté

Contexte historique :

 

La longue période qui précède l’instauration de l’Empire de Qin est appelée époque des Royaumes Combattants : Zhànguó 戰國 (481-221). La Chine est divisée entre grands et petits états, soumis formellement à la suzeraineté des rois : wáng王de la dynastie Zhōu 周 (1046-256). Au 3ème siècle avant notre ère, il ne reste que sept grands états, ce sont Hán 韓, Zhào 趙, Yān 燕, Wèi 魏, Chǔ 楚, Qí 齊 et Qín 秦. Qín va les conquérir un à un entre 230 et 221.

Yíng Zhèng 嬴政est né en 259, il accède au trône de Qin en 246. A l’achèvement de ses conquêtes, il inaugure la courte dynastie de Qín (221-207), en se conférant le titre nouveau de Premier Empereur de Qín : Qín shǐhuáng dì 秦始皇帝. Il meurt en 210, au cours d’une de ses tournées d’inspection. Son fils Húhài 胡亥, né en 229, lui succède sous le nom de Deuxième Empereur : Èr shì huáng dì 二世皇帝. Son règne va de 210 à 207.

Le Premier Empereur parcourut son territoire entre 220 et 210. Il alla en particulier sur des montagnes pour y offrir des sacrifices à des divinités différentes. Il commença en 219 par Yìshān 繹山, dans le Shāndōng 山東, dans l’ancien pays de Lǔ 魯, patrie de Confucius. Il continua la même année toujours au Shandong au Tàishān 泰山 puis à Lángyá 琅琊. Il retourna au Shāndōng en 218 à Zhīfú 芝罘. Il alla en 215 à Jiéshí 碣石au Héběi 河北, et en 210 à Kuàijī 會稽, au Zhèjiāng 浙江. Il fit ériger dans chaque lieu une stèle au contenu peu différent. Son fils retourna sur les mêmes lieux, et fit ajouter aux stèles de son père un colophon identique.

 

 

Texte original en chinois classique traduit en français et annoté par Paul Navailh et Hu Jiaxing.

 

Texte original :

 

1 皇帝立國,唯初在昔,嗣世稱王,

Pinyin : Huáng dì lì guó, wéi chū zài xī, sì shì chēng wáng.

Traduction en français : Les Augustes Souverains avaient établi l’Etat, très tôt dans l’antiquité ; leurs successeurs eurent le titre de roi.

Note : Huáng dì 皇帝 sont les trois Augustes et les cinq Souverains:Sān huáng wǔ dì 三皇五帝, souverains mythiques à l’aube de l’histoire. Leur succèdent trois dynasties, Xià shāng zhōu 夏商周, dont les souverains étaient roi : wáng 王.

 

2 討伐亂逆,威動四極,武義直方。

Tǎo fá luàn nì, wēi dòng sìjí, wǔ yì zhífāng.

Il a réprimé troubles et rébellions, sa puissance a touché les quatre extrémités, ses faits guerriers sont droits et justes.

A partir d’ici, le Premier Empereur parle de ses actions. sìjí 四極 désigne les quatre extrémités de la terre, c. à d. la Chine entière.

 

3 戎臣奉詔,經時不久,滅六暴強。

Róng chén fèng zhào, jīng shí bù jiǔ, miè liù bào qiáng.

Les officiers militaires ont reçu ses décrets, en peu de temps, Il a anéanti les six tyrans.

Zhào 詔 ou Zhàoshu 詔書 désigne un édit, un décret impérial.
liù bào qiáng 六暴強 « six tyrans » sont les six états rivaux que le Qín 秦 a conquis l’un après l’autre.

 

4 廿有六年,上荐高號,孝道顯明。

Niàn yǒu liù nián, shàng jiàn gāo hào, xiào dào xiǎn míng.

La vingt-sixième année, on lui a conseillé ce titre élevé, sa conduite filiale est éclatante.

L’an 26 de son règne est l’an 221 avant notre ère. Gāo hào 高號 « titre élevé » désigne celui d’Empereur : Huáng dì 皇帝 (voir ligne 10).
Xiào 孝 est la Piété filiale, dào 道 est la Voie:sa conduite honore ses ancêtres qui, en retour, le favorisent. Donc sa réussite est la preuve éclatante de sa piété filiale.

 

5 既獻泰成,乃降專惠,寴巡遠方。

Jì xiàn tài chéng, nǎi jiàng zhuān huì, qīn xún yuǎn fāng.

En manifestant un grand accomplissement, Il fait descendre ses nombreux bienfaits, il a personnellement parcouru des régions éloignées.

Les premières phrases signifient que la vertu du souverain rejaillit sur le peuple. La dernière phrase dit que le nouvel empereur est allé en « tournée d’inspection » en divers lieux.

 

6 登于繹山,群臣從者,咸思攸長。

Dēng yú yì shān, qún chén cóng zhě, xián sī yōu cháng.

Il a gravi le mont Yi, ses ministres le suivent, les pensées de tous vont au loin.

Yì shān 繹山, écrit maintenant 嶧山, est une montagne dans le Shāndōng 山東. L’empereur y va en 219 av. notre ère, pour y faire un sacrifice y laisser une stèle commémorative.
Le caractère chén 臣 est polysémique, il signifie tout à la fois : serviteur, fonctionnaire, ministre et même sujet du souverain.

 

7 追念亂世,分土建邦,以開爭理。

Zhuī niàn luàn shì, fēn tǔ jiàn bāng, yǐ kāi zhēng lǐ.

Ils se remémorent les siècles de désordres :   le partage des terres et la création des pays, ont ouvert les motifs de conflits.

La phrase « fēn tǔ jiàn bāng » 分土建邦 évoque le morcellement en multiples états que la dynastie Zhōu 周 n’a pu empêcher.

 

8 功戰日作,流血於野,自太古始。

Gōng zhàn rì zuò, liú xuè yú yě, zì tài gǔ shǐ.

Attaques et batailles éclataient tous les jours, le sang coulait dans les campagnes sauvages,   depuis la plus haute antiquité.

Yě 野 est à l’origine le territoire en dehors de la ville, ce mot signifie à la fois « campagne » et « sauvage ».

 

9 世無萬數,陀及五帝,莫能禁止。

Shì wú wàn shù, tuó jí wǔ dì, mò néng jìn zhǐ.

Pendant des siècles innombrables, qui remontent jusqu’au Cinq Souverains,  on n’avait pu l’interdire.

Wǔ dì 五帝 « cinq souverains » sont les sages souverains de l’Antiquité (voir ligne 1).

 

10 迺今皇帝,壹家天下,兵不復起。

Nǎi jīn huáng dì, yī jiā tiān xià, bīng bú fù qǐ.

Maintenant il y a un Auguste Souverain, il a unifié le Monde, les armes ne se soulèvent plus,

Huangdi « Auguste souverain », c. à d. Empereur, c’est le titre nouveau qu’il a créé pour se l’attribuer, d’après les trois Augustes et les Cinq souverains de l’Antiquité. Ce titre est resté usité jusqu’à la fin de l’empire.
Yī 壹 est une variante de yī 一 « un », yī jiā 一家/壹家 signifie « une famille », il veut dire unifier, ou qu’une seule famille règne sur la Chine. Tiān xià 天下 « sous le ciel », est une expression qui désigne la terre sous le ciel, c. à d. la Chine.

 

12 災害滅除,黔首康定,利澤長久。

Zāi hài miè chú, qián shǒu kāng dìng, lì zé cháng jiǔ.

Maux et calamités ont été éradiqués, le peuple est prospère et stable, bénéfices et bienfaits seront durables.

Qián shǒu 黔首 « têtes noire » est une expression qui désigne :  le petit peuple, les gens du commun.

 

13 群臣誦略,刻此樂石,以著(經)紀。

Qún chén sòng lüè, kè cǐ yuè shí, yǐzhe (jīng) jì.

Un abrégé des louanges des ministres,   a été gravé sur cette stèle, afin de noter les règles.

Yuè shí 樂石 qui signifie « pierre sonore », dont on fait des instruments de musique (lithophone), a ici le sens de « stèle ».

 

Colophon :

皇帝曰:金石刻盡,始皇帝所為也,

Huáng dì yuē: Jīn shí kè jìn, shǐ huáng dì suǒ wéi yě,

L’Empereur a dit : Sur le métal et la pierre est gravé en quantité, ce qu’a fait le Premier Empereur,

Ici, Huáng dì 皇帝 désigne le Deuxième Empereur, fils et successeur de shǐ huáng dì 始皇帝, le Premier Empereur.
Jīn shí 金石 « métal et pierre » est une image pour désigner une stèle.

 

(今)襲號,而金石刻辭不稱始皇帝,其于久遠也,

(Jīn) xí hào, ér jīn shíkè cí bù chēng shǐhuáng dì, qí yú jiǔ yuǎn yě,

Aujourd’hui j’ai hérité du titre, mais (mes) inscriptions sur le métal et la pierre n’égalent pas celles du Premier Empereur, et dans un temps lointain,

 

如後嗣為之者,不稱成功盛德。

rú hòu sì wéi zhī zhě, bù chēng chéng gōng shèng dé.

S’il y a des successeurs qui en font, les leurs n’égaleront pas (non plus) ses mérites parfaits et sa vertu abondante.

 

丞相臣斯,臣去疾,御史大夫臣德, 昧死言:

Chéng xiàng chén Sī, chén Qù Jí, yù shǐ dà fū chén Dé, mèi sǐ yán:

Les conseillers Si et Quji, le chef des censeurs De ont dit respectueusement :

Chéng xiàng chén sī 丞相臣斯 désigne Lǐ Sī, Conseiller de gauche : zuǒ chéng xiàng Lǐ Sī 左丞相李斯, (chéng xiàng) chén Qù Jí (丞相)臣去疾 désigne Féng Qù Jí, Conseiller de droite : Yòu chéng xiàng Féng Qù Jí 右丞相馮去疾. Yù shǐ dà fū chén Dé 御史大夫臣德 désigne un chef des censeurs : yù shǐ dà fū 御史大夫 prénommé Dé 德, dont on ne connaît pas le nom de famille.
Mèi sǐ 昧死, « affronter la mort : risquer sa vie » est une formule qu’employaient les ministres : chén 臣 des dynasties Qín 秦et Hàn 漢 quand ils s’adressaient à leur empereur.

 

臣請具刻詔書,金石刻因明白矣。

Chén qǐng jù kè zhào shū, jīn shíkè yīn míng bái yǐ.

Vos ministres sollicitent qu’on grave entièrement (cet) édit, qu’on le grave sur le métal et la pierre pour le faire connaître.

Zhào shū 詔書 « édit », voir la note de la ligne 3 du texte.

 

臣昧死請。製曰:可。

Chén mèi sǐ qǐng. Zhì yuē: Kě.

Les ministres ont respectueusement sollicité. Nous édictons notre approbation.

Zhì yuē 製曰 est une formule qui marque un édit, une décision impériale. Kě 可 « pouvoir » employé dans un document signifie : approuvé, autorisé.

 

 

Li Si, 嶧山碑 Stèle du Mont Yi, dynastie Qin, 219 av. J.-C. Estampage d’une gravure reproduite dans la dynastie des Song.

 

 

À propos du texte :

 

La stèle de Yìshān a été élevée la 28ème année du règne du Premier Empereur. Elle a disparu et a été regravée en 993 sous les Song du Nord : Běi Sòng 北宋. Le texte se présente d’un seul tenant, sans ponctuation ni séparations. Il est formé de « phrases » de quatre caractères. On les a rassemblées par trois en séquences de douze caractères.

L’histoire du Premier Empereur et le contenu du texte des six stèles a été conservé dans l’ouvrage de Sīmǎ Qiān 司馬遷 (145 avant – 56 après notre ère) appelé « Mémoires Historiques » Shǐjì 史記 .

 

Bibliographie :

 

Michèle Pirazzoli-t’Serstevens et Marianne Bujard : Les dynasties Qin et Han. Paris, Les Belles Lettres. 2017.

Le premier chapitre (pp. 15-42.) traite du Premier Empereur. Les pages 27 à 34 parlent des 6 stèles et des tournées d’inspection.

Edouard Chavannes, traduction : Se-ma Ts’ien, Mémoires Historiques tome 2. A télécharger gratuitement sur chineancienne.fr

Jacques Pimpaneau, traduction : Les mémoires historiques de Si-ma Ts’ien. Paris, Editions Youfeng. 2015.

Martin Kern : The Stele Inscriptions of Ch’in Shih-huang : Text and Ritual in early Chinese Imperial Representation. New-Haven, American oriental society . 2000.

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