01 Apr Études classiques | Sang luan tie 喪亂帖 traduit et annoté
Traduction de chinois classique en français par Paul Navailh et Hu Jiaxing
Ce texte est une lettre (chidu 尺牘) de Wang Xizhi (303?–361), calligraphe de la dynastie des Jin (265-420). L’original est perdu mais il en existe une copie ancienne qui est conservée au Japon au sein de la Maison Impériale ( 宫内厅 Kûnaichô). Elle y serait entrée dès l’époque de l’empereur Shômu tennô 聖武天皇 (vie : 701-756, règne : 724-749). Cette copie est un décalque réalisé à l’époque Tang avec la technique dite « shuanggou tianmo » 雙鉤填墨. Shuanggou 雙鉤 signifie reproduire les traits de l’original en suivant leur contour, tianmo 填墨 remplir ensuite ces traits avec de l’encre.
Cette pièce est aussi appelée « Sangluan san tie » car elle est suivie de deux autres lettres de Wang Xizhi : Er xie tie 二謝帖 et De shi tie 得示帖, écrites sur une même feuille de 28,7 cm de haut, 63 cm de large. Cette feuille a été montée sur rouleau.
Wang Xizhi (ACE303?-361), Sang luan tie 喪亂貼, reproduction du 8e siècle. Encre su papier, hauteur 28.7 cm. Imperial Agency, Japan.
Texte
Le texte compte 62 caractères répartis sur 8 colonnes. Les colonnes font 8 caractères, sauf les colonnes 2 et 3 qui en ont 7.
1 羲之頓首。喪亂之極。
2 先墓再離荼毒。追
3 惟酷甚。號慕摧絕,
4 痛貫心肝。痛當奈何,
5 奈何。雖即修復,未獲
6 奔馳,哀毒益深。奈何
7 奈何。臨紙感哽,不知
8 何言。羲之頓首,頓首。
Transcription
1 Xīzhī dùn shǒu. Sāng luàn zhī jí.
2 Xiān mù zài lí tú dú. Zhuī
3 wéi kù shén. Hào mù cuī jué,
4 tòng guàn xīngān. Tòng dāng nài hé,
5 nài hé. Suī jí xiū fù, wèi huò
6 bēn chí, āi dú yì shēn. Nài hé
7 nài hé. Lín zhǐ gǎn gěng, bù zhī
8 hé yán. Xīzhī dùn shǒu, dùn shǒu.
Traduction
La traduction suit autant que possible l’agencement des phrases chinoises.
1 Je vous salue. Au plus fort de l’affliction.
2 Les tombes des ancêtres ont été à nouveau touchées par les tourments.
3 Souvenir cruel. Brisé par le deuil.
4 La douleur perce mon coeur. Douleur à ne savoir qu’y faire,
5 Qu’y faire ? Bien qu’aussitôt réparées, je n’ai pu
6 m’y précipiter, la douleur du deuil en est plus forte. Qu’y faire,
7 Qu’y faire ? La gorge se noue devant la feuille. Je ne sais plus
8 ce que j’ai dit. Je vous salue encore.
Notes
1 頓首 (dun shou) est une formule en début ou en fin de lettre, son sens littéral est : se prosterner. Le Zhouli (Rites des Zhou) 周禮·春秋·大祝 cite neuf types de salutations 九拜 (jiu bai). La première était 稽首 (qi shou) où on se prosternait longuement, la seconde est 頓首 (dun shou) où on se prosternait rapidement, selon les commentaires. La première manière de se prosterner ne se faisait que devant l’Empereur.
喪亂 (sangluan) a pour sens courant : troubles, désordre, désastre ; mais son sens premier est : l’affliction profonde causée par un deuil, être dévasté par la perte de quelqu’un.
2 先 (xian) : devant, avant, désigne aussi les ancêtres, nos prédécesseurs dans 先墓 (xian mu) : tombe des ancêtres. 荼毒 (tudu) : tourments, souffrances, est composé de 荼 : laiteron — une plante amère –, et de 毒 : venin, poison.
3 號慕 (haomu) signifie : pleurer la mort de ses parents, cette expression se trouve dans Mengzi 孟子·萬章上, 號 (hao) : pleurer, 慕 (mu) penser à ses parents.
4 心肝 (xingan) est formé de 心 cœur et de foie 肝, signifie : sentiments sincères, (bonne) conscience.
5 未獲 (weihuo) a le même sens que 未能 (weineng) : ne pas avoir pu.
7 不知何言 (buzhi heyan) pourrait se comprendre au futur (ne savoir que dire), au passé (ne plus savoir ce qu’on a dit) ou au présent (ne pas savoir ce qu’on dit), de fait, dans le contexte de cette lettre c’est une expression qui signifie qu’on est si perturbé qu’on a oublié ce qu’on a pu dire.