19 Jun Exposition | Mélancolia
Exposition en ligne
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M é l a n c o l i a
Œuvres calligraphiques des élèves du cours de calligraphie chinoise de l’Institut Confucius de l’Université de Paris
Introduction
La pandémie continue à ravager le monde. Durant l’année 2021-2022, le confinement n’était plus une expérience nouvelle, cette traversée du temps était mélancolique.
La calligraphie avec les cours en ligne nous a aidé encore une fois pour traverser cette épreuve, nous avons fait en plus des progrès considérables malgré toutes les difficultés, surtout pour les débutants, ne pouvant pas voir in situ le geste calligraphique.
Au cours de notre apprentissage, nous avons étudié les œuvres classiques, mais cherché aussi à leur donner une nouvelle vitalité en y insufflant nos propres génies. Cette exposition de calligraphie en ligne sur le thème de « Mélancolia » montre naturellement nos fruits de cet apprentissage, mais aussi nos incroyables créativités. Elle s’inscrit à la continuité de l’exposition « La calligraphie du confinement » de l’an dernier.
Le mot latin mélancolia, « humeur noire » ou « maladie engendrée par la bile noire », exprime un registre d’états et de sentiments lié à l’inquiétude, voire à la folie. L’image de la mélancolie est commune chez l’humanité : la main tenant la tête ou couvrant le visage, comme dans l’étymologie du caractère chinois you 憂 « mélancolie » dans les inscriptions sur bronze, ou dans les représentations iconographiques à travers l’histoire de l’art occidental.
La mélancolie est un sentiment sans doute dépressif, mais avec affection. Elle est ancrée dans la réflexion profonde sur l’être, sur le soi et sur le monde. Elle peut être sublimée dans les actes de création. Si nous souffrons, depuis l’année dernière, des épreuves inédites qui menacent toujours notre existence et qui ombrent notre perspective, le thème de création de cette année encourage à son tour la réflexion sur cette épidémie et sur les valeurs de notre vie.
Les créations exposées ne sont pas simplement de diverses formes artistiques inspirées de la calligraphie chinoise, elles sont encore des états d’esprit introspectifs durant ce temps bouleversant. L’art transcende nos souffrances.
HU Jiaxing, ZHAO Fei
Commissaires d’exposition
Dans les inscriptions sur bronze pendant les Zhou occidentaux (1046-771 av. J.-C.), you 憂 est un picto-idéogramme composé de ye 頁 « tête » et de you 又 « main », originellement figurant la main couvrant le visage, exprimant « l’inquiétude, le souci, la dépression ou la mélancolie ». Vers la fin des Royaumes combattants (475-221 av. J.-C.), la « main » est remplacée par le « cœur » (xin 心), cela renforce l’affection dans le sentiment mélancolique.
Albrecht Dürer (1471-1528). Melencolia I. 1514. Gravure sur cuivre, hauteur 24,1 cm, largeur 18,5 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York.
Chapitre I
Blues… un cœur brisé
Catherine Silavong. Calligraphie en cursive. Encre de Chine sur papier. 68 x 35 cm. Calligraphie d’un poème de Li Bai 李白, extrait de 秋浦歌 (Chants de Qiupu):
白髮三千丈,緣愁似個長。
不知明鏡里,何處得秋霜
Trois mille toises de cheveux blancs,
Pareillement long est mon chagrin.
J’ignore, face au miroir brillant,
D’où ce givre d’automne provient.
(Traduction extraite de l’Anthologie de la poésie chinoise, sous la direction de Rémi Mathieu, Bibliothèque de la Pléiade)
En nous confrontant à notre condition mortelle, l’épidémie de coronavirus a fait ressortir le rapport ambivalent de notre société à la vieillesse, à la fois protecteur, mais déshumanisant, dont une manifestation a été la proposition, envisagée à de nombreuses reprises, mais finalement abandonnée, d’un confinement spécifique aux personnes âgées ou fragiles. (Catherine Silavong)
Anne Lamaze, Triptyques de la mélancolie – Blues. 2021. Papier chiffon brossé d’indigo, papier chiffon crème avec inclusion de fleurs séchées, encre argent et encre bleue. Dimension fermée 39 x 36,5 cm, ouverte 80 x 36,5 cm.
J’ai choisi le caractère qui exprime le souci, l’inquiétude, la déprime… le bleu foncé, indigo, c’est le blues, les formes cursives du caractère sont si belles qu’elles changent l’encre en argent et le blues s’estompe dans une douce mélancolie… (Anne Lamaze)
Anne Lamaze, Triptyques de la mélancolie – Cœur brisé. 2021. papier lisse Seawhite 150g de couleur crème, encre de Chine, encre rouge. Dimension fermée 35,6 x 48 cm, ouverte 84 x 48 cm.
Le caractère « 悲 » : chagrin, tristesse est composé de « 非 » et « 心 ». Dans la forme régulière de « 悲 », le cœur me fait penser à un cœur brisé. J’ai choisi d’écrire de la droite vers la gauche l’évolution du caractère (Régulière, semi-cursive, cursive…) comme le passage du cœur brisé au chagrin puis à la tristesse et pour finir une douce mélancolie… (Anne Lamaze)
Jean-Baptiste Jeannot, 一喜一憂 Ikki ichiyou, « se réjouit maintenant et se lamenter ensuite », 2021. Calligraphie en semi-cursive. 170 x 42 cm
Le besoin d’évasion, de convivialité et de joie de vivre… est plus fort en ce moment que celui de se pencher sur la tristesse et le pessimisme ambiant. J’ai choisi de travailler sur un yojifukugo 四字熟語 ou locution japonaise composée de 4 caractères (l’équivalent de chengyu 成語) qui reflète un peu mon état actuel d’esprit concernant la mélancolie :
一喜一憂 Ikki ichiyou, soit « se réjouit maintenant et se lamenter ensuite » ou « un temps pour la joie, un autre pour la tristesse », avec cette idée que la joie et la tristesse sont inséparables dans nos existences. Ce qui signifie également que rien n’est stable et qu’après la mélancolie viendront les motifs de se réjouir. (Jean-Baptiste Jeannot)
David Lee Fong, Meile kouli [mélancolie]. 2021. Fichier numérique 1893 pixels x 2910 pixels.
Pour ma première piste de recherche l’idée m’est venue spontanément de faire un jeu de mots dans la transcription chinoise de mot « mélancolie », comme les Chinois font souvent avec les marques occidentales (可口可樂 , [Kekoukele – Coca Cola], 家樂福 [Jialefu – Carrefour] etc.) Il m’est donc venu à l’esprit 沒樂口裏 [meile kouli], dont le sens en chinois est littéralement « sans joie dans la bouche ». Phonétiquement cela donne « mélancolie » en français.
La bouche est aussi l’organe du goût et par extension le goût de la vie. Ainsi, cela crée un pont ludique et une interaction entre les deux cultures occidentales et orientales.
Quant à la genèse de cette première pièce, l’idée de base était de créer une ambiance colorée qui évoquait la mélancolie avec des taches bleu et violet et le texte en vertical en négatif. D’après les conseils de Hu Jiaxing, qui a suggéré que je rende plus significatives ces taches, j’ai renforcé l’image d’un visage qui est apparu fortuitement dans la partie basse du tableau. Un dernier développement consistait à lui ajouter un masque comme référence à la crise sanitaire actuelle et ses tristes conséquences.
David Lee Fong, Pluie mélancolie. 2021. Encre de Chine sur papier marouflé. 44 cm x 52 cm
Comme deuxième piste, j’ai pris comme point de départ les deux poèmes de Su Shi que nous avons étudiés en calligraphie, et les sentiments qu’ils évoquent, notamment : amertume ; tristesse ; regret ; solitude ; manque de confort physique – froid, humidité (pluie), bruit du vent ; maladie ; le temps qui passe ; vieillesse.
De ces thèmes, ce que j’ai retenu et ce qui m’a inspiré le plus, surtout pour son potentiel d’expression graphique, c’est la pluie (l’omniprésence de l’eau). J’ai donc pris comme base le caractère yu 雨.
J’ai intégré les caractères 沒樂口裏 dans le pictogramme pour remplacer le quatre points 點 en caoshu pour évoquer l’eau qui coule. La particularité de cette piste est que ces quatre caractères composent une partie de la structure du caractère principal (雨).
David Lee Fong, Meile kouli Figures. 2021. Fichier numérique 882 pixels x 3029 pixels
Comme troisième axe de recherche, j’ai exploré la relation entre les caractères utilisés précédemment (沒樂口裏) et le corps humain. La calligraphie devient donc une sorte de chorégraphie. Les émotions se traduisent aussi par le langage corporel, les attitudes pouvant être tant physiques que mentales.
Eunhi Sibéril. Mélancolie. 2021. Calligraphie en régulière avec fond noir.
Pendant le confinement, on a l’impression d’être dans l’obscurité. Dans le tableau, c’est le fond noir qui représente le thème de la « mélancolie » 悲 : on n’y voit rien, cependant il existe tout ce qu’on pense.
Dans l’espace obscur et triste, on regrette les vraies relations humaines et les communications passées 沟通. Alors, petit à petit, on découvre les sentiments humains du coeur 人情 : une compréhension sincère et de l’affection.
L’important dans cette tristesse est de se découvrir soi-même 自我 et de trouver sa propre personnalité et sa vérité. À travers son expérience et son imagination, on perçoit un esprit d’invention et de créativité 創意. (Eunhi Sibéril)
Michel Sondag 宋格, Calligraphie en style cursif, 50 x 50 cm. Deux vers de sept caractères tirés de Méditation d’automne et de Sept chants de T’ong-kou par Du Fu 杜甫 (712-770) :
故國平居/有所思,悲風/為我從天/來
« Je pense au pays natal où j’ai vécu en paix jadis
Tombant du ciel s’abat sur moi un vent de tristesse »
Fusae Picollet, Chagrin. Deux calligraphies en sigillaire et en cursive.
Chapitre II
Contemplation mélancolique… l’idée de catastrophe
Nicole Bettan, Montagne au crépuscule. Mai 2021. Papier de riz marouflé sur toile. Technique mixte avec pigments, acrylique, encre de Chine noire et sanguine. 80 x 60 cm.
J’ai choisi de peindre en fond un paysage montagneux, car il représente le thème de la mélancolie dans des tonalités grises, noires et blanches. Le poème de Cui Hao 崔顥 (Dynastie Tang) illustre mon état d’intériorité à ce moment de la création :
日暮鄉關何處是,煙波江上使人愁
Voici le Crépuscule, où donc est mon pays natal ?
Voir le fleuve sous la brume me rend mélancolique.
(Nicole Bettan)
Nicole Bettan, Calligraphie cursive. Mai 2021. Papier de riz marouflé sur toile. Technique mixte avec pigments, acrylique, encre de Chine noire et sanguine.
Cette deuxième phase de confinement a été très difficile pour moi à revivre.
Car ce virus invisible a ravivé mes blessures intérieures et j’avais l’impression d’être dans un nuage de ténèbres pendant ces phases répétées de confinement.
Mais, grâce à la peinture et à la calligraphie, j’ai réussi à trouver ma voie, exister plus librement. Cette résilience par le geste calligraphique m’a libéré et j’ai pu créer ainsi une parenthèse dans toute cette noirceur ambiante.
Victor Hugo a écrit :
« L’encre, cette noirceur d’où sort une lumière. »
Extrait du livre : Dernière Gerbe écrit en 1902.
Ce tableau est accompagné d’un poème du poète Cui Hao de la dynastie Tang, ci-dessus cité. La création par la déconstruction (les idéogrammes écrits dans tous les sens) a participé à ma reconstruction, a laissé des traces de ces non-dits intérieurs et surtout m’a permis une distanciation par rapport au réel. (Nicole Bettan)
Nicole Bettan, Calligraphie cursive. Mai 2021. Papier de riz marouflé sur toile. Technique mixte avec pigments, acrylique, encre de Chine noire et pigments. 130 x 62 cm.
Le triptyque est créé à partir d’un seul tableau sur papier de riz. J’ai utilisé les effets du clair-obscur grâce à la photographie, tout au long d’une journée, sous différentes lumières, artificielles et naturelles. J’ai choisi ce procédé car il m’a permis de visualiser les effets d’ombre et de lumière, à partir d’une seule calligraphie.
Cette technique photographique engendre une amplification des contrastes, des dégradés et des textures.
D’une tension ressentie au début, cette technique m’a apporté un apaisement avec des tonalités picturales plus douces. Je suis ainsi passée d’une intériorité ténébreuse, à une extériorité de plus en plus sereine.
« L’artiste lance son œuvre comme un homme lance la première parole, sans savoir si elle sera autre chose qu’un cri. » (Merleau-Ponty, “Le doute de Cézanne”. Dans la revue Fontaine, volume 8, numéro 47, écrit en décembre 1945.)
(Nicole Bettan)
Nicole Bettan, Vent – Fenêtre. Mai 2021. Calligraphie cursive. Papier de riz marouflé sur toile. Technique mixte avec pigments, acrylique, encre de Chine noire et pigments.
J’ai positionné ce tableau en dernier, car une ouverture possible sur l’extérieur commence à se dessiner dans notre réalité quotidienne. La fenêtre est une frontière entre le dedans et le dehors, l’espace privé et l’espace public. Le choix de l’idéogramme « Vent » marque un début de changement possible vers une liberté retrouvée, en apportant un souffle nouveau.
La fenêtre, pour moi, a été un symbole de protection et en même temps d’enfermement. Maintenant, tout devient possible, d’un espace clos plongé dans l’obscurité, nous allons vers une vie sociale extérieure plus dynamique.
En lien avec le confinement, les tableaux d’Edward Hopper (1882-1967) sont particulièrement d’actualité. Le tableau Morning Sun peint en 1952 évoque ce questionnement intérieur, silencieux face à l’incertitude et à la menace du monde extérieur. On y voit une femme assise sur un lit qui regarde par la fenêtre. Dans tous ses tableaux, on perçoit la solitude, l’attente, le silence, une mise à distance des personnages vis-à-vis de la vie extérieure. (Nicole Bettan)
Edmond Graszk, Sous la pluie, j’écris à Pei Di en souvenir des monts Zhong’nan. 2021. Peinture et calligraphie.
渺渺寒流廣,蒼蒼秋雨晦
君問終南山,心知白雲外
Fleuve immense, courant froid,
Pluie d’automne, ciel vaste et sombre,
Vous me demandez où se trouvent les monts Zhong’nan,
On sait tous deux qu’ils sont au-delà des nuages blancs.
(« Sous la pluie, j’écris à Pei Di en souvenir des monts Zhong’nan »,Wang Wei, à la recherche du Vide : Anthologie de poèmes, traduction Xue Lijuan, Editions You Feng)
J’ai été touché dans ce poème de Wang Wei 王維 par sa correspondance avec la mélancolie poétique du dix-neuvième siècle européen. J’y vois l’expression d’une tristesse vague, pointant par des notations automnales un désenchantement du monde, sans doute propre ici à la culture bouddhiste de l’auteur, et exprimant le rêve d’un ailleurs tout à la fois empreint de nostalgie et imaginaire.
Reprenant des éléments d’une oeuvre de Dong Qichang 董其昌 étudiée dans le cours de peinture de Wang Yi, j’ai tout simplement placé le poète à la marge d’une rive grisaillante, conduit par le poème au-delà de la mer de nuages, vers les montagnes de l’Est.
Pour la calligraphie, je suis parti des tracés de Su Shi 蘇軾 étudiés pendant l’année pour quelques caractères, en essayant de garder un geste homogène pour le reste du poème, sans pouvoir dissimuler la maladresse des coups de pinceaux. (Edmond Graszk)
Edmond Graszk. Calligraphie en semi-cursive. 2021. Encre sur papier.
Le caractère 憂 tracé avec une encre diluée puis buvardé légèrement pour éviter les bavures et le gaufrage du papier.
Anne Lim, Paix. 2021. Peinture et calligraphie.
Je voulais juste me fixer l’objectif de produire un modeste travail qui résume mon état d’esprit en sortie de déconfinement, un peu en rapport avec le thème de la Mélancolie. Les deux canards représentent un couple protégé dans un espace qui a été un peu réduit, d’où la notion de papier avec beaucoup de traits. Durant cette année, J’ai cherché beaucoup le centre de mon corps, de mon esprit, de ma vie et j’ai découvert que l’art de la calligraphie exprime nos émotions, notre histoire et nos questionnements intérieurs. (Anne Lim)
Philippe Marcq. Calligraphie en régulière. 2021. Encre sur papier.
Le poète Wang Wei (王維, 699-759) est un contemporain du calligraphe Yan Zhen Qing (颜真卿, 709-785). Peut-être se sont-ils même rencontrés ?
Il exprime dans ce quatrain, extrait du Clos aux cerfs (鹿柴), la mélancolie d’un promeneur solitaire, éloigné de ses semblables et contemplant au fin fond de la montagne les derniers rayons du couchant sur un sol de mousse :
空山不見人,但聞人語響。
返景入深林,復照青苔上。
Empty hills, no one in sight,
only the sound of someone talking;
late sunlight enters the deep wood,
shining over the green moss again.
(Traduction Burton Watson)
La calligraphie est de style régulier (楷書), inspiré de la stèle du temple ancestral du clan Yan (颜氏家廟碑). Chaque feuille porte un seul caractère. Leur assemblage engendre le poème. (Philippe Marcq)
Nicole Berthé, Pompéi. 2021. Dimension : cercles de 52 cm de diamètre. Matières : peinture, encre, cendres de bois, carton.
En 79 avant J.-C. Pompéi était une ville florissante, modèle d’une civilisation avancée. L’éruption du Vésuve a mis une fin brutale et définitive à cet art de vivre.
Aujourd’hui, pour nous européens, la pandémie liée au covid a bouleversé notre vie quotidienne et nous a confronté à la mort et à la tristesse.
Le cercle, c’est la terre, les couleurs, la vie ; les cendres recouvrent tout et ne laissent que le caractère “tristesse, mélancolie”. Mais quand sera vaincue la maladie, la vie redeviendra -presque- comme avant. (Nicole Berthé)
Catherine Chapoy, Mélancolie. 2021. Land art. Calligraphie réinventée. Branche sur sables, coquillages et des algues trouvés alentour.
Une première phrase en “calligraphie carrée” à partir de l’idée originale de Xu Bing 徐冰. Chaque caractère représente en fait une syllabe d’un mot en français où les lettres sont écrites et agencées comme des caractères chinois. Par exemple pour tracer un “L” j’utilise la clef de la marche “辶”.
On peut ainsi déchiffrer le thème de l’exposition de cette année : “Mélancolie”. Ensuite viennent les 3 caractères 悲, 愁 et 忧.
Le tout est tracé sur le sable d’une plage en bordure de l’océan Atlantique où j’étais en vacances sans mon matériel de calligraphie. J’ai ensuite terminé en mode “Land art” en “coloriant” les caractères avec des coquillages et des algues trouvés alentour. Les deux couleurs noir et blanc m’ont évoqué le yin et le yang et du coup, je les ai mélangées ou alternées. (Catherine Chapoy)
Chapitre III
Joie de vivre, purification… Contre la mélancolie
Joëlle Philibert, Mélancolie / Joie de vivre. 2021. Encre sur papier, craies, feutres. 70 x 34 cm.
Les traits composant le caractère « mélancolie » s’envolent permettant d’écrire une partie du sentiment antagoniste « joie de vivre ». Les couleurs expriment le passage d’une énergie négative à une attitude positive. (Joëlle Philibert)
Jacqueline Birée, Contre la Mélancolie. 2021. Livre avec calligraphie en sigillaire sur un florilège des œuvres sur le thème de “mélancolie”.
Lorsque le sujet de la Mélancolie a été proposé, au mois de mars, j’ai tout de suite pensé à la magnifique exposition du Grand Palais et aussi à l’émission dominicale sur France Inter « remèdes à la mélancolie ».
J’ai plutôt opté pour ce contrepoint, plus proche de mon ressenti, en partant de l’illustration de la mélancolie dans l’art occidental – soit des œuvres figurant dans l’exposition de 2005 soit d’autres résultant d’un choix personnel – et en proposant à chaque protagoniste du tableau une réponse puisée dans la calligraphie chinoise. Souvent, la représentation picturale m’a évoqué une œuvre littéraire qui accompagne la présentation.
La mélancolie ne se guérit pas, et d’ailleurs ceux qui la ressentent le désirent rarement, mais parfois ils apprécient un soulagement momentané. Ces suggestions n’ont pas d’autre ambition. (Jacqueline Birée)
Michel Ouaniche, Il faut que l’herbe pousse et que les enfants meurent, je le sais. 2021. Paravent constitué de 4 panneaux de 96,5 cm de hauteur et de 38 cm de largeur, soit une largeur totale de l’œuvre de 152 cm. Les panneaux sont en médium de 2 millimètres d’épaisseur ; le papier sur lequel est peinte la calligraphie est du papier de paille chinois très fin, de moins de 10g/m2 ; les photos sont tirées sur du papier japon ; les contours sont peints à l’acrylique.
Ce paravent calligraphié n’est pas qu’une simple calligraphie : c’est aussi un conte, qui s’affirme avec toute la dureté et toute la cruauté des contes. C’est un conte, et donc un récit ; pour être plus précis, il s’agit là du récit d’un meurtre.
Sur la scène de crime, plusieurs personnages se détachent.
- Il y a tout d’abord, en arrière-plan, presque en coulisses, les Grands Naïfs : la Mère, le Père, le Frère : autant de figures familiales qui témoignent, par l’image et d’une manière indicible, d’un bonheur et d’une insouciance qui ont été vécus et qui furent bien réels. Dans ce cadre idyllique, tel un jardin d’Eden, la Mère et le Père portent leur enfant comme un trophée, et l’enfant qui se loge dans leurs bras le fait avec une gourmandise sans nom, tel le Roi du Monde.
- Mais les nuages sont là, et les chauves-souris qui se présentent au-dessus des têtes, les crânes et les squelettes qui s’amoncellent auprès des corps, apparaissent comme autant de signes de ce que la Mort rôde et de ce qu’elle s’insinue dans le tissu du réel.
- Au devant de la scène, et non plus en coulisses, trois protagonistes majeurs (le protagoniste désigne celui qui tient le rôle principal dans le théâtre grec antique) s’opposent en effet : la Victime, l’Assassin et le Témoin du meurtre.· La Victime c’est Moi, mais un Moi qui n’est pas Moi ou plutôt, qui n’est plus Moi ; la Victime, c’est l’enfant que je fus, ce Moi que je ne reconnais plus et qui, dans un processus d’aliénation continu, est devenu étranger à lui-même. Par son regard, cet enfant que je fus lance au spectateur que je suis comme un appel à l’aide et réclame de celui-ci comme une promesse d’éternité.· L’Assassin, c’est Saturne ou Cronos, le Titan de la Mélancolie et des choses du Temps, ce monstre qui dévore ses enfants pour éviter qu’ils ne le détrônent. Par ses actes, Cronos est un ogre qui plonge dans l’animalité ; et c’est en tant qu’Ogre (du latin « orcus », enfer) qu’il figure dans la dernière scène de la calligraphie, procédant à un meurtre que l’on pourrait qualifier de rituel.· Le Témoin du meurtre, qui se manifeste de manière symbolique et mais qui n’apparaît pas dans les photographies, c’est mon Moi présent ; pris dans le grand cycle de la vie, ce Moi se révèle impuissant à répondre aux appels de l’enfant ; et ce dernier, tel « Mozart assassiné », finit par disparaître de manière sacrificielle, préfigurant par là le grand moment de séparation du Moi d’avec lui-même : celui de cette mort qui nous attend, patiemment.
Dans la scène de crime que je viens de décrire la Victime, l’Assassin et le Témoin du meurtre ne cessent d’inter-agir dans des rapports triangulaires et inégaux qui ne sont plus dramatiques, (en référence au fameux triangle dramatique de Stephen Karpman où deux sujets jouent alternativement les rôle de la Victime, du Persécuteur et du Sauveur) mais tragiques. On ne situe plus dans un jeu pervers mais devant une tragédie qui est celle de notre condition humaine.
D’où la mélancolie.
Pour traduire picturalement cette mélancolie je me suis appuyé sur les images et les signes traditionnels utilisés pour illustrer celle-ci :
- présence permanente de la chauve-souris dans les panneaux centraux, chauve-souris si présente dans notre imaginaire contemporain de la COVID, mais aussi dans l’imaginaire de la Mélancolie chez Durer et ou chez Goya ;
- multiplication des crânes et squelettes attestant de la présence dans la vie de la Mort, avec les pensées macabres qui l’accompagnent ;
- références à l’Ogre, version dérivée du Dieu Saturne, associé culturellement à la mélancolie.
Je me suis refusé toutefois à développer dans mon œuvre ce modèle de la mélancolie symbolisé au plan iconographique par un sujet lourd du poids de ses pensées, soutenant de sa main sa pauvre tête.
En contradiction avec les graves événements qui se produisent dans le conte calligraphié que j’expose, j’ai en effet fais le choix d’une certaine légèreté teintée d’humour dans le rendu de mon travail (légèreté qui se voit dans le côté volatile des images brûlées, flottant dans le texte calligraphié, et dans la finesse des papiers utilisés), car le thème de l’enfant que je privilégiais appelait à quelque chose de fragile et d’aérien.
Par ailleurs, je préférais, à la lourdeur d’un Saturne qui nous « plombe », prendre le parti, dans la métaphore de la tragédie de l’existence que je mets en scène, d’une « insoutenable légèreté de l’Être ». Si la vie est une tragédie, elle comporte en effet quelques instants de comédie sur lesquels s’appuyer et c’est mieux comme cela ! (Michel Ouaniche)
Sania Ahamada, 安静温暖如母体,孕育着世界万千 “Le silence est une matrice chaleureuse”, 2021. 70 x 50 cm, papier carton noir, encre blanche. Fleurs séchées.
Sania Ahamada, Mélancolie et Calligraphie Chinoise. 2021. Manuscrit en chinois sur cahier, 16,5 x 20,5 x 3 pages, juin 2021.
Qu’est-ce ? Ce sentiment de tristesse profonde ? Ce sentiment qui me rend parfois étrangère à ce monde ?
Pourtant, je suis ici et dois accepter d’avancer avec ces larmes au goût amer.
La calligraphie chinoise à été mon refuge, elle m’a réconcilié avec l’écriture et le noir alors qu’une partie de mon peuple dite “des lumières” reste aveugle aux nuances, optant pour des raccourcis tel que noir et blanc pour définir l’être humain.
“C’est du chinois” disent les miens pour exprimer leur incompréhension. Je souris.
La calligraphie chinoise nous montre que le blanc n’est pas synonyme de clarté.
Je prends mon pinceau et (ré-)apprends à écrire…
Il est si simple de regarder sous ses pieds, cette terre que l’on foule, qui nous porte et nous nourrit… De quelle couleur est-elle ? Sommes-nous capables de regarder par-delà le béton ? Silence…
Pinceau à la main… Mon refuge pour ne pas être emportée par le flot de cette folie qui enflamme les hommes entre eux.
La calligraphie enseigne qu’à partir d’un noir profond et d’une goutte d’eau, on obtient une première nuance de gris. Encore une goutte d’eau et le noir devient plus clair.
Ces nuances entre le noir et le blanc manque cruellement à nos esprits. Même silencieuse, on ne peut se cacher d’elle, c’est un révélateur.
La calligraphie rappelle le lien indispensable qui se joue entre la page blanche l’encre noire et l’être humain. Silence
La patience et la discipline qui sont devenues un vrai plaisir.
Une feuille blanche, un pinceau et des larmes noires sont devenus mes compagnons afin de sublimer la mélancolie.
这是一种什么感觉?一种深深的悲伤?
这种感觉有时让我对这个世界感到陌生。然而我必须接受,含着苦涩的眼泪继续前进。
中国书法是我的庇护之地,它使我与文字和黑色融为一体。
被称为“光明之子”的人们仍然对细微差别视而不见,选择了诸如黑色和白色的捷径来定义人类。
当我们面对不理解的事物,我们说:“这是中文”,我笑了。
中国书法告诉我们,白色并不是清晰的同义词。
我拿起笔,(重新)学习写字……
看着脚下,我们踏过的这片土地是如此简单,它承载着我们,滋养着我们。
安静……
它是什么颜色?我们是否还能透过混凝土看到?
笔在手中…… 回归我的庇护之地,以免被这疯狂的洪水冲走。
书法告诉我,在深黑色中加入一滴水,能获得第一道
灰色阴影。再加入一滴水,黑色会变得更浅。
我们非常想念黑白之间的这些细微差别。即使安静,我们无法隐藏,笔画之中充满启示。
书法让人们知道白纸、黑墨和人之间的基本联系。
安静
耐心和纪律已经成为一种真正的乐趣。
一张白纸、一支毛笔、黑色泪水,成为我的伴侣,升华
忧郁
Texte de Tortue Noire aka Sania Ahamada.
Sania Ahamada, Mélancolie d’une apprentis calligraphe – Feu et eau . Video de 3min52. Restitution du processus d’apprentissage de la calligraphie chinoise, dans le contexte du confinement au déconfinement. Réalisation Sania Ahamada. 2021.
Fin
Bel été et à l’année prochaine !