07 Mar Études classiques | Traduction et annotation de Shu su tie 蜀素帖 « Manuscrit sur soie du Sichuan » 2
Mi Fu 米芾 (1051–1107). Shu su tie 蜀素帖 [Manuscrit sur la soie de Sichuan]. 1088. Encre sur soie, rouleau, calligraphie en semi-cursive, hauteur : 27,8 cm, longueur : 270,8 cm. National Palace Museum, Taipei.
Traduction et annotation par Paul Navailh
Présentation
Le Shǔ sù tiē 蜀素帖, appelé aussi Nǐ gǔ shī tiē 擬古詩帖. Pièce conservée au Musée du Palais de Taipei (Taiwan). Elle mesure 27,8 cm x 270,8 cm, elle comprend 8 poèmes écrits en semi-cursive xingshu 行書, au total 658 caractères sur 71 colonnes. Elle est datée de 1088 : 3ème année de l’ère Yuanyou 元祐 du règne de l’empereur Zhezong 哲宗 (1076-1100).
Le titre de cette pièce fut donné plus tard. On peut traduire Shu su tie 蜀素帖 par « Manuscrit sur soie du Sichuan », car Shu 蜀 est un autre nom du Sichuan 四川, Su 素 désigne un tissu de soie grège, et Ni gu shi tie 擬古詩帖 par « manuscrit de poèmes à la manière ancienne ».
Mǐ Fú 米芾 (1051-1107), époque Song du Nord Beisong 北宋, poète, peintre et calligraphe, à l’origine de la « peinture de lettrés » wenren hua 文人畫, type du lettré excentrique, de sensibilité bouddhiste chan (zen) 禪.
Transcription du texte
龜鶴年壽齊,羽介所托殊 。
種種是靈物,相得忘形軀 。
鶴有冲霄心,龜厭曳尾居 。
以竹兩附口,相將上雲衢 。
報汝慎勿語,一語墮泥塗 。
Guī hè nián shòu qí, Yǔ jiè suǒ tuō shū.
Zhǒng zhǒng shì líng wù, Xiāng dé wàng xíng qū.
Hè yǒu chōng xiāo xīn, Guī yàn yè wěi jū.
Yǐ zhú liǎng fù kǒu, Xiāng jiāng shàng yún qú.
Bào rǔ shèn wù yǔ, Yī yǔ duò ní tú.
Traduction
A la manière 擬 antique 古
La tortue 龜 et la grue 鶴 ont une longévité 年壽 égale 齊,
S’incarner 所托 (sous) la plume 羽 ou la carapace 介 les rend différentes 殊.
L’une et l’autre 種種 sont 是 des êtres 物 merveilleux 靈
Elles s’entendent bien 相得, oubliant 忘 leur corps 形軀.
La grue 鶴 a 有 à cœur 心 de percer 冲 les nuages 霄,
La tortue 龜 déteste 厭 demeurer 居 à trainer 曳 sa queue 尾.
Les deux 兩 ont serré 附 un bambou 以竹 dans la bouche 口,
En compagnie 相將 elle montent 上 au chemin 衢 des nuages 雲.
Je te 汝 préviens 報, soit prudente 慎, ne 勿 parle 語 pas,
Un mot 一 語, (et) tu retomberas 墮 dans la boue 泥塗.
Lexique et commentaire
1
Gui 龜 tortue. He 鶴 grue. Nianshou 年壽 durée de vie, âge = Nian 年 année, Shou 壽 longévité. Qi 齊 égal.
Les anciens pensaient que les grues et les tortues pouvaient vivre très longtemps, ils en avaient fait des symboles de la longévité.
2
Yu 羽 plume. Jie 介carapace. Suo 所 lieu > ce que (mot grammatical). Tuo 托 soutien, soutenir ; ici pour tuosheng 托生/託生: se réincarner, selon la croyance bouddhique. Shu 殊 différent.
3
Zhong zhong 種種 chaque sorte > chacun. Shi 是 vraiment/être. Lingwu 靈物 être merveilleux, créature fantastique = Ling 靈merveilleux/intelligent ; Wu 物 chose, être.
4
Xiang 相 réciproque. De 得 pouvoir / Dei 得 devoir, mais Xiangde 相得 signifie : bien s’entendre. Wang 忘 oublier. Xing 形 forme, apparence = le corps (opposé à l’esprit xin 心). Qu 軀 corps humain.
La grue et la tortue savent vivre ensemble car elles sont capables d’oublier la dissemblance de leur corps.
5
You 有 avoir. Chong 冲 s’élancer, percer. Xiao 霄 nuages, les airs. Xin 心 cœur : esprit (opposé à la forme : corps xing 形).
6
Yan 厭 en avoir assez, détester. Ye 曳 trainer, laisser trainer. Wei 尾queue. Ju 居 s’asseoir/séjourner.
Ce vers est une allusion au chapitre Qiushui 秋水 du Zhuangzi 莊子. On peut en lire la traduction sur le site : chineancienne.fr. Les pères du système taoïste, traduction Léon Wieger, Tchoang-tzeu (Zhuangzi) ch. 17, la crue d’automne, pp. 244,245.
Cependant le sens est différent, car ici la tortue ne veut pas rester dans la boue.
7
Yi 以prendre > indique que le mot Zhu 竹 est le complément d’objet du verbe Fu 附. Zhu 竹bambou. Liang 兩 les deux. Fu 附 approcher de/mettre à. Kou 口 bouche.
8
Jiang 將 prendre/marque du futur, mais Xiangjiang 相將 signifie : suivre, accompagner. Shang 上 monter. Yun 雲 nuage. Qu 衢 voie, chemin.
9
Bao 報 annoncer, prévenir. Ru 汝 toi. Shen 慎 prudent. Wu 勿 ne pas (impératif). Yu 語 parler.
10
Yi 一 un/une. Yu 語 mot, parole. Duo 墮 tomber (avec un sens péjoratif). Nitu 泥塗 bourbier = Ni 泥 boue ; Tu 塗 enduire, barbouiller.
La fin du poème reprend le conte, d’origine indienne et bouddhique, de la tortue et des deux oies. On peut en lire une version sur le site chineancienne.fr : Les Avadânas, traduction Stanislas Julien, conte XIV : La tortue et les deux oies, p. 43. La morale est qu’il faut savoir tenir sa langue, ne pas s’exprimer inconsidérément. Depuis l’Inde ce conte s’est aussi propagé en Europe, et en France dans la fable de Jean de La Fontaine : La tortue et les deux canards. Ces contes sont appelés avadâna en sanskrit, apadâna en pâli.
Gravure de Pierre Quentin Chedel d’après un dessin de Jean-Baptiste Oudry, édition Desaint & Saillant de 1755-1759. (C)Wikipedia
Références bibliographiques
Yu, Feng 俞豐. 經典碑帖釋文譯注 (Traduction et annotation des œuvres classiques de calligraphie). Shanghai 上海 : Shanghai shuhua chubanshe 上海書畫出版社, 2009, p. 967-706.