31 Oct Interview | Interview de Hu Jiaxing et Zhao Fei, créateurs de Feibai Institute
Cet interview était réalisé par Ma Chine – Blog Chine, un blog où elle partage des interviews de sinologues, d’experts et de personnalités liés à la culture chinoise. Merci
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Zhao Fei : Je suis née à Guangzhou, Chine, très tôt dans l’enfance, j’ai découvert et pratiquais la peinture, la calligraphie et la musique sous l’influence de famille pendant d’innombrables voyages de peinture. Après le double diplôme en peinture à l’huile et en piano à Capital Normal University à Beijing, je m’installe en France en 2009. J’ai fait mon Master et Doctorat en Arts plastiques à l’Université Paris VIII sous la direction de M. François Jeune, cette thèse de recherche-création est intitulée : Du Ciel : comme archétype de l’acte de création, soutenue en 2022. Mes recherches portent sur le Ciel comme archétype de l’acte de création dans l’histoire de l’art et en particulier dans l’art contemporain, mes créations réinventent cet archétype céleste en m’inspirant notamment de l’esprit des montagnes et eaux comme l’énergie cosmique de l’harmonisation entre Homme et Nature. Durant ces dernières années, j’ai participé aux nombreuses résidences et exposé mes travaux en Chine et en Europe, notamment Musée Cernuschi (Paris 2022), Musée Édouard Branly (Paris 2021), Boab Art Gallery (Anvers 2019), Centrul Cultural Reduta (Brașov 2017), etc.
Hu Jiaxing : Je suis né à Jixi, région de Hui, pays de l’encre, du papier et de la gravure en Chine, comme Fei, j’ai découvert et pratiquais dès mon enfance la calligraphie, la peinture et la gravure de sceaux chinoises. Diplômé de l’Université de Nanjing en Langue française avec des études en arts, je m’installe à Paris en 2009 pour poursuivre mes études en Histoire de l’art à l’École du Louvre (2009-2011). Diplômé en Master en Arts et Langages à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (2013), j’ai obtenu en 2019 mon Doctorat au Muséum National d’Histoire Naturelle en Anthropologie culturelle, spécialisé en Anthropologie de l’art de l’écriture, sous la direction de M. Christophe Comentale et de M. Emmanuel Lincot. Ma thèse est intitulée Archéologie du geste graphique : Genèse, évolution et systématisation de la pensée pictographique en Chine du Néolithique à la dynastie des Tang, elle traite le geste graphique des images et symboles comme un fil conducteur pour une archéologie de la pensée pictographique, évoluée entre la créativité artistique et la normalisation idéologique dans la Chine ancienne. Mes recherches et créations portent notamment sur l’acte graphique parmi ses origines, sa continuité dans la tradition et ses mutations contemporaines.
Nous avons des parcours artistiques et culturels très similaires, disons, de la même racine. Nous avons même voyagé pratiquement en même temps au Tibet en été 2007. Mais c’est à Paris que nous nous sommes rencontrés, grâce à nos maîtres spirituels en commun, comme Shitao 石濤 (1642-1707), Bada Shanren 八大山人 (1626-1705), Kaii Higashiyama 東山魁夷(1908-1999), etc. Le jour où nous nous sommes rencontrés, dans l’arboretum de la Vallée-aux-Loups, nous avons partagé ce monde de l’art, pendant toute la journée, entourés par ces artistes orientaux.
Zhao Fei : Nous partageons la même conception de l’art : l’essentiel, c’est la pratique et la créativité. Créativité est innée chez nous, la pratique artistique nécessite la découverte du monde, la création deviendra ainsi un processus de transformation, avec le monde. Nous nous inspirons beaucoup de la pensée de l’art chinois, en particulier de l’esprit de montagnes et eaux, de l’énergie cosmique de la nature, de la pensée taoïste.
Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de créer l’Institut Feibai et quelle est sa mission ? Il y a une phrase dans le texte de quatrième de couverture de votre livre de juillet 2022, Zhao Fei, qui dit « prends ton pinceau, le monde t’attend pour le découvrir et le créer » : quelle est la signification de cette phrase et en quoi est-elle liée à la mission de cet Institut artistique ?
Hu Jiaxing : Feibai Institute est un projet artistique que nous avons démarré pendant nos thèses de doctorat. En tant qu’artistes-chercheurs, nous sommes extrêmement conscients l’importance de la pratique artistique dans la sculpture de l’esprit et dans l’approfondissement de la culture. Durant ces dernières années, Feibai nous a accompagné dans nos recherches et créations. Ce projet a condensé nos conceptions, réflexions et expériences en art.
Notre institut a pour vocation d’éveiller la créativité innée de chaque individu à travers la pratique artistique. Fusionnant la calligraphie, les arts plastiques et la sinologie en une entité dynamique, nos programmes et projets artistiques visent à explorer la tradition de l’esthétique chinoise, tout en tissant des liens entre la culture classique et l’art contemporain, dans la grande traversée de l’Orient à l’Occident.
Zhao Fei : Le monde est vaste et infini, un créateur en art est un chercheur du monde, ce monde est autant matériel qu’immatériel. « Prends ton pinceau », c’est-à-dire, même si nous abordons le monde de l’art dans un processus très contemporain, conceptuel, il ne faut pas oublier la matérialité dans la création artistique.
Feibai signifie « blanc-volant », un espace vide dans le tracé calligraphique, c’est également ce qui nous échappe dans l’acte de création. Notre institut insiste l’importance de la pratique artistique, c’est donc à travers les actes de création que nous pouvons ainsi acquérir une expérience esthétique, explorer nos propres créativités.
Zhao Fei, Voyage vers l’Est, Éditions Feibai, 2022, p. 19-20.
Zhao Fei, Voyage vers l’Est, Éditions Feibai, 2022, quatrième de couverture.
Il y a un cours à l’institut Feibai qui s’appelle : « Arts plastiques & Éveil à la sinologie ». De même votre logo comporte les mots « Calligraphie, Arts plastiques, sinologie ». En quoi l’art et la sinologie sont-ils intrinsèquement liés ?
Zhao Fei : Les programmes et les projets artistiques de l’institut vont de l’éveil artistique des enfants qui leur fait progressivement acquérir une compréhension approfondie de la pensée esthétique chinoise, au perfectionnement des gestes graphiques des adultes qui leur fait explorer la philosophie de l’art chinois et sa valeur actuelle. « Arts plastiques & Éveil à la sinologie » est un programme typique de cette liaison entre l’art et la sinologie. Il est destiné aux enfants de 7-12 ans, c’est une période très importante du développement de leur esprit. L’approche des arts plastiques leur permet d’apprécier la philosophie chinoise, et encore de comprendre l’art chinois dans un contexte occidental. Dans le programme Arts plastique & Éveil à la sinologie, les enfants sont amenés à explorer la culture classique autour d’un thème annuel d’esthétique chinoise. Ils sont encouragés à emprunter des éléments de l’esthétique classique, pour créer successivement des œuvres employant des matériaux et des langages artistiques divers. En associant leur création au contexte occidental dans lequel ils grandissent, ils réinventent une esthétique chinoise, et libèrent leur potentiel créatif.
Pensez-vous que les écrans et le numérique auxquels sont exposés les enfants très tôt de nos jours a des conséquences et qu’il y a un manque de créativité chez les nouvelles générations ou en général ? En effet, vous avez un cours appelé « éveil artistique ». De plus, vous évoquez sur votre site « l’importance fondamentale de la pratique artistique dans la sculpture de l’esprit », en quoi la pratique artistique « sculpte » -t-elle l’esprit ?
Zhao Fei : Vous venez d’aborder une question très importante. Je ne suis pas convaincue que la nouvelle technologie, malgré sa facilité, puisse remplacer la dimension matérielle dans le processus du développement de la créativité. Certes, nous sommes dans l’ère numérique où la transmission des savoirs est beaucoup plus efficace, cela nous aide énormément, surtout pour les nouvelles générations, à accéder aux connaissances. Néanmoins, l’expérience esthétique ne parvient qu’avec la pratique artistique ou culturelle, le geste est essentiel dans l’acte de création. Je ne crois pas non plus qu’il y a un manque de créativité chez les nouvelles générations, il faut leur laisser un vide dans la diversité numérique de notre époque, ils nous apporteront beaucoup de surprises.
Quand nous pensons à l’importance de la pratique artistique dans la sculpture de l’esprit, nous pensons à nos propres expériences de la création artistique. En fait, créer une œuvre d’art, c’est créer un micro-cosmos, quand on fait l’art, on est libre, on est à la fois ouvert et introspectif.
Hu Jiaxing : Exactement. Cette expérience esthétique est une aventure, aussi bien physique que spirituelle. Pour trouver le bon geste, il y a beaucoup de répétition, beaucoup d’essai, beaucoup de force. Ce processus « sculpte » notre esprit.
Finalement, en quoi l’art est-il essentiel dans la vie ?
Zhao Fei : L’acte de création est une action avec le Temps, car, l’art crée des expériences qui nous font traverser les différentes qualités de l’espace-temps, l’acte de création est un acte cosmogonique qui transcende l’homogénéité du temps quotidien dans notre vie.
Hu Jiaxing : La force vient de la source. L’homme crée les signes, les symboles pour transformer le monde. La recherche de l’art via le geste graphique est une archéologie de l’origine de la pensée esthétique, une révélation de la force créatrice qui est, sans doute, ombrée par la routine de la vie.
Bravo pour votre inauguration le 9 septembre dernier, que souhaitez vous pour l’avenir ?
Zhao Fei & Hu Jiaxing : Merci ! Nous avons créé un lieu au centre de Paris, nous souhaitons « créer un monde » dans les longues années à venir.