23 nov. - 21 déc. 2023, Feibai Institute
La rencontre avec les outils traditionnels de l’art chinois a éveillé chez Jean-Baptiste Jeannot un regard scrutateur, qui s’efforce de capter les jeux subtils des formes et des textures. Cette pratique remonte au « jeu de l’encre » (moxi 墨戲) des lettrés de la dynastie Song (960-1279), qui est à l’origine de la peinture lettrée chinoise et qui a donné naissance à une expression infinie.
Les paysages de Jean-Baptiste Jeannot nous invitent à voyager de la campagne de Zhang Zeduan 張擇端 (actif au XIIe siècle) aux pics de Wang Hui 王翬 (1632-1717) en passant par la Saint-Victoire de Cézanne vers les sommets des montagnes. Pour lui, la montagne incarne un espace de pureté, voire « le dernier espace sauvage de notre monde moderne (qui) nous apporte […] une élévation dont nous manquons cruellement ». La montagne, image par excellence de la verticalité, relie et brise simultanément les niveaux cosmiques. Son sommet constitue une rupture de l’homogénéité de l’espace, une ouverture possible d’un niveau cosmique à un autre, un lieu d’ascension céleste. Dans la civilisation chinoise, l’image de la montagne-escalier, symbole emblématique de la culture tardive de Dawenkou 大汶口 (ca. 2800-2500 av. J.-C.), témoigne d’une pensée cosmique : chercher à rejoindre les esprits célestes, établir le temps cosmique et maintenir dans notre existence ce lien avec le ciel.
Les montagnes se créent et disparaissent. Elles ouvrent une fenêtre à travers laquelle nous percevons le mouvement cyclique de la cosmogonie : création et destruction permanentes. Cette dualité s’observe également chez l’homme. Dans l’acte de création, l’artiste s’efforce de détruire nos préjugés et de transcender notre regard sur le monde. Cela équivaut, dans la pratique du bouddhisme chan, à une voie de libération de l’esprit. Les montagnes de Jean-Baptiste Jeannot semblent incarner, avec émotion et subtilité, cette quête spirituelle.
Afin de mieux appréhender les origines et les évolutions de chaque parcours singulier, le commissaire d’exposition a formulé les cinq questions suivantes. Ces interrogations éclairent les multiples facettes de son processus de création.
1. Pourriez-vous partager les moments clés de votre parcours qui vous ont conduit vers l’univers de l’art asiatique ?
L’art Gupta, la statuaire Khmer et hindoue, l’art du Gandhara, les maîtres de l’estampe au Japon m’accompagnent et me touchent depuis longtemps. Mais j’étais resté assez ignorant des trésors de la peinture chinoise. C’est la découverte récente de la pratique de la calligraphie, puis de la peinture chinoise qui m’ont ouvert la porte du monde de l’encre et du pinceau. Les expositions sur la calligraphie japonaise et sur la peinture des lettrés aux musées Guimet et Cernuschi ont également été très inspirantes.
2. Les matériels traditionnels de l’art chinois, tels que le pinceau, l’encre et le papier, ont une profondeur historique. Comment ces éléments emblématiques influencent-ils votre processus créatif ou inspirent-ils vos œuvres ?
C’est en jouant avec les rencontres surprenantes de l’encre et du papier que j’ai pu mener à bien les dessins que je montre aujourd’hui. Je me suis efforcé d’être extrêmement attentif aux formes, matières et textures qui ont surgi lors de mes séances de travail. Je me suis laissé guider par les hasards de la matière.
3. Les montagnes occupent une place centrale dans l’art pictural chinois. Pourriez-vous nous faire part de votre propre expérience avec les montagnes et décrire ce que l’image de montagne évoque pour vous ?
J’ai une petite expérience récente et enthousiaste de randonneur en montagne. Pour moi la montagne est le dernier espace désert, sinon sauvage, de notre monde moderne. La montagne nous apporte une respiration, un espace imaginaire, une élévation dont nous manquons cruellement dans notre vie quotidienne en ville.
4. Vos œuvres semblent constituer un voyage spirituel vers les profondeurs des montagnes, où le sommet est enveloppé d’une aura presque sacrée. Est-ce que, pour vous, le sommet symbolise une forme de sacralité, et croyez-vous qu’il soit accessible à cette quête spirituelle ?
La montagne, le sommet que l’on cherche à atteindre peut être vu comme le symbole d’une « quête spirituelle ». Un désir de s’élever et de se purifier. Quant à savoir si le sacré nous est accessible ? Il est possible que chacun de nous puisse en faire brièvement l’expérience dans certaines circonstances de la vie…
5. Les deux dernières peintures de cette exposition semblent transcender la dualité entre création et destruction, évoluant vers un état chaotique d’une cosmogonie. Pouvez-vous nous éclairer sur votre interprétation personnelle de cette relation complexe entre la création et la destruction dans l’art ?
Je suis fasciné par la figure du dieu hindou Shiva Nataraja (roi de la danse) qui symbolise à la fois la création et la destruction des mondes. Un peu à la manière du Shiva Nataraja, l’artiste qui souhaite créer quelque chose de nouveau, devra identifier et détruire les préjugés, clichés, réponses toutes faites et automatismes qui encombrent la vision.
Né en 1958, Jean-Baptiste Jeannot a vécu dans son enfance en Éthiopie et en Tunisie. Il a travaillé en librairie puis chez Air France ce qui lui a donné l’occasion de faire de nombreux voyages, en Asie notamment. Parallèlement, il s’est initié au modelage et au papier mâché, et a suivi les cours de dessin des ateliers des Beaux-Arts de la ville de Paris. Il s’est passionné pour la culture japonaise, apprenant la langue, et a exploré la calligraphie et la peinture chinoises. Depuis sa retraite en 2020, il se consacre au dessin et au travail de l’encre.
Horaires d’ouverture
mardi 11h-18h
samedi 15h-18h
dimanche 11h-18h (sauf 26 nov. et 17 déc.)
Commissariat
Zhao Fei & Hu Jiaxing